Consanguin : Le constat est donc unanime, Docteur. Ce débat stérile et survireur n'est, une fois débarrassé de ses justifications ministérielles, que l’occasion idéale de revendiquer haut et fort notre nationalisme bactériologique. Nous stigmatisons avec une vigueur renouvelée et un enthousiasme confiant. C'est inédit depuis des années, mais le pouvoir nous demande d'être "fiers d'être français" (nonobstant le fait qu'il est incongru d'être "fier" ou "honteux" non pas d'une action ou d'un succès, mais d'un état de fait duquel on n'est pas responsable - mais ce sont là d'inopportunes finesses logiques qui nous échappent).
H. Grüber : Les consanguins sont effectivement les principaux bénéficiaires de ce débat, et à vrai dire, il n’est guère lancé qu'à leur intention. Même le petit Baroin a compris ça. Ailleurs, chez les spartakistes de la bonne conscience, on s’indigne en réunion, on crie à l'opportunisme démagogique, ou on écarte le débat comme une blague carambar, un gadget de plus. On répond que c’est un « non-débat », une démarche propagandiste, une intrusion étatique injustifiée, on refuse même de répondre aux questionnaires rédigés par la rue de Grenelle, en lui faisant des doigts. Les gauchistes sont d'un vulgaire...
H. Grüber : Grâce à ce savoureux débat, comme toujours moqué à l'étranger, les consanguins de toutes chapelles (lombrics souchiens, vermine atlantiste, poivrots nationalistes, identitaires fascisants et monarchistes diarrhéeux) ont trouvé de nombreuses tribunes. Le site gouvernemental dédié au Grand Débat ressemble à s’y méprendre aux commentaires du blog d’Ivan Rioufol, qui ressemble à s’y méprendre au blog de François Setouche. Jackpot ! Les consanguins geignent maintenant tout leur saoûl avec la bénédiction des pouvoirs publics. Ils ânonnent leurs salades sur des plateformes financées par l’impôt – un peu comme si, pour quelques semaines, le 2e tour en 2002 avait finalement tourné à leur avantage. Liberté d'expression, délice démocratique, extase beatnick...
Et comment s’en étonner dans ce contexte de "ré-idéologisation" droitiste ? Les courants politique s'hybrident, comme l’illustre André Valentin, petit maire rigolo qui se dresse seul face aux légions indicibles. Dérapage après dérapage, qui pourrait aujourd’hui faire la différence entre Nadine Morano et Marine Lepen ? Entre Brice Hortefeux et Karl Lang ? Entre Eric Raoult et Bruno Gollnisch ? Qui peut vraiment dire qu’André Valentin n’est pas un vrai frontiste comme on n’en fait plus ? 10 millions !! 10 millions de combattants de l’Anti-France, 10 millions de boat-people, de marabouts et de djihadistes ! 10 millions d’Huru-kaïs qui dévorent vos fils et basculent vos filles ! L'Africain est un enzyme et il dévore la terre d'Europe, comme le sait tout exilé nord-américain défoncé à la Northern Lines.
Le clonage se poursuit.
Consanguin : C’est vrai. Et ce mimétisme de la majorité présidentielle à l’endroit des ténors du FN nous emplit d’aise. Après tout, si l’Occident s’effondre, c’est bien parce que certains jeunes parlent verlan et portent leur casquette à l’envers.
H. Grüber : Sarkozy avait ouvert le feu devant les agriculteurs en se répandant sur la « terre de France » comme votre illustre Maréchal avait été le dernier à le faire. Le débat d’Eric Besson sonne comme la récompense et la promotion qu’attendaient les consanguins. La terre et le sang ! De quoi faire frétiller quelques queues atrophiées, ach je dérape.. Et Sarkozy vous a également donné la seconde branche de l’équation en proposant une loi interdisant la burqa. Du coup, même un gros consanguin misogyne peut se découvrir une âme de défenseur des femmes opprimées.
Résultat : il faut ripoliner l'islam français. Sinon, les gros yeux. Regards insistants vers la porte. Saisie du coude, raccompagnage. L’équation est aussi simple que ça. Remous à tribord : Marine Lepen a aussitôt bondi sur ses ergots pour réclamer d’être reçue à l’Elysée et prôner la politique du tonfa sur la gueule. Les identitaires beuglent que c'est la reconnaissance de leur thèse. Alors comme ça, tout le monde doit "pouvoir pratiquer sa religion, mais sans ostentation" ? A la suite de Rioufol, citons dans ce cas les Suisses en exemple : les musulmans doivent raser les minarets, mais tout le monde peut garder les clochers. Dans sa gueule, la laïcité.
A titre personnel, j'ai toujours préféré l'architecture gothique. Mais en France, on trouve même quelques comiques pour parler d'urbanisme ! Ach, je m'égare. Je disais qu'en France, le contexte politique booste les identitaires qui candidatent aux régionales. Certains écrivains pourront même abandonner le MPF sans regret.
Résultat : il faut ripoliner l'islam français. Sinon, les gros yeux. Regards insistants vers la porte. Saisie du coude, raccompagnage. L’équation est aussi simple que ça. Remous à tribord : Marine Lepen a aussitôt bondi sur ses ergots pour réclamer d’être reçue à l’Elysée et prôner la politique du tonfa sur la gueule. Les identitaires beuglent que c'est la reconnaissance de leur thèse. Alors comme ça, tout le monde doit "pouvoir pratiquer sa religion, mais sans ostentation" ? A la suite de Rioufol, citons dans ce cas les Suisses en exemple : les musulmans doivent raser les minarets, mais tout le monde peut garder les clochers. Dans sa gueule, la laïcité.
A titre personnel, j'ai toujours préféré l'architecture gothique. Mais en France, on trouve même quelques comiques pour parler d'urbanisme ! Ach, je m'égare. Je disais qu'en France, le contexte politique booste les identitaires qui candidatent aux régionales. Certains écrivains pourront même abandonner le MPF sans regret.
La dernière convention identitaire, à la Cigale (Paris). Cherchez-vous sur la photo !
Consanguin : Ah les identitaires, les plus purs consanguins d'entre nous ! Chez eux, la consanguinité n'est pas qu'une thèse ou un sacerdoce, c'est une hygiène de vie. On s'y reproduit de fils en mère. Et quel folklore ! Les sangliers xénophobes, la soupe populaire au lard, les camps scouts pour adultes de 30 ans... Mais cela ne répond toujours pas à la question : quelle est donc cette identité nationale ?
H. Grüber : Une identité qui réjouit les consanguins : une communauté faite d’exclusions, selon une mécanique simple mise en branle par une élite « népotico-consanguine ».
L'identité nationale qu'on veut promouvoir, c'est la France de la délation assistée par ordinateur, où les préfectures modernisent les vieilles recettes et proposent des mails de délation automatique et anonyme. C’est la France qui renvoie des afghans vers leur pays en guerre, qui met un terme de facto au droit d’asile et donne l’occasion à deux volatiles de la majorité d'afficher leur délicate sensibilité de médecins du coeur. A cet égard, je ne comprends toujours pas comment le Front National a pu ignorer, pendant tant d’années, le potentiel d’un individu comme Frédéric Lefebvre. Vulgaire, tapageur, cynique et bourrin, c’est aujourd’hui l'un des fers de lance de la réforme des mentalités en cours (les mauvaise langues parlant de lobotomie). Lui-même se rengorge lorsqu'on le qualifie de "porte-flingue" de Sarkozy, nonobstant l'amoralité et l'épaisseur proverbiales des vrais "porte-flingues".
En 1940, Frédéric Lefebvre et Thierry Mariani auraient peut-être déclaré qu’ils préféraient "les juifs qui avaient le cran d’affronter leur destin, plutôt que de se cacher dans les caves françaises". Ou peut-être pas. En tous cas, on n’avait pas vu une telle miséricorde depuis Sœur Emmanuelle. La France, terre d'accueil, c'est très vendeur dans un dépliant touristique mais ça a drôlement vieilli. A la grande joie des natios et des souverainistes...
D’ailleurs à bien y réfléchir, le droit d’asile est une prime à la lâcheté. Les clandestins qui fuient la pauvreté et la guerre sont souvent des couards et des déserteurs. Nous devons les aider à regagner leur dignité, et leur expulsion participe à ce travail d'édification. Nous sauvons leur honneur, et envoyons des renforts aux Forces de la Liberté. Support our troops. Par humanisme, nous renvoyons donc ces afghans se faire dignement découper par les talibans, les drones US ou les avions Dassault (avouez que l'ironie serait cuisante). Un bon clandestin est un clandestin qui a la décence de mourir dans son pays, voilà en substance ce qu'expliquent certains génies de la majorité.
Consanguin : Merci pour eux. Il est vrai que nous les aimons particulièrement. Mais, l’identité nationale, Professeur ?
H. Grüber : Oui oui, j’y reviens. Je sais combien ça vous obsède. D'un certain angle, l’identité nationale, c’est la France des couvre-feux pour les mômes de 13 ans fondés sur des chiffres truqués et des mensonges d’état en pagaille, c’est la France où se multiplient les centres de détention, les expulsions de familles, les fichiers de police illégaux. C’est la France de la criminalisation des gauchistes via la loi de 1936, c’est aussi la France de la vidéosurveillance dont les statistiques montrent qu’elle permet d’accentuer la stigmatisation de certaines populations sans réduire d’un iota la délinquance. C’est la France où un obscur pantin bloque la sortie de sa banque pour piéger un clandestin. C’est la France de l’avilissement du langage en propagande creuse, bref, c’est la France qui flirte avec les Hurenkinder et qui aime ça. Ach, je dérape.
"Manpower, les hommes qui travaillent pour les hommes"
(fond sonore : saxo eighties)
H. Grüber : Dans son ancienne vie, Eric Besson avait expliqué, un peu avant l’élection de Sarkozy, que celui-ci avait "rompu avec la droite classique pour reprendre les thèmes, les idées et les projets du Front National". Il est désopilant de voir le même Eric Besson, volontaire et sympa comme tout, mettre en œuvre un prétendu "désarmement" de l’extrême-droite et sa domestication par une droite libérale qui se dit encore « respectable » par pure autosuggestion.
Au final, ce sont les idées des consanguins qui prospèrent lentement, du troquet misérable au forum délabré, en passant par les sites officiels du gouvernement, les parlementaires et les éditocrates. Ils sont tous là, d’Eric Zemmour à Christophe Barbier, d’Ivan Rioufol à Alexandre Adler, à "contribuer-au-débat-sur-l’identité-nationale" en répétant sans fin que "l’islam-et-la-république-sont-incompatibles", et que les musulmans sont priés de s’amputer d’une partie de leur propre identité s’ils souhaitent appartenir à la communauté nationale. Les polonais ont bien changé leurs noms, non ?
Consanguin : Pourtant, le pouvoir se défend de vouloir pratiquer l'amalgame. Il parle de valeurs fondatrices, mais aussi de "valeurs universelles", "d'ouverture", "d'humanisme", et de conneries de ce genre - comme si ce type de "valeurs" pouvait être "national".
H. Grüber : Peu importent les liens de contention que le pouvoir voudrait imposer au débat. Malien animiste, juif sépharade, gauchiste agnostique, arabe musulman, étudiant anarchiste ou militant gay altermondialiste, aucun ne cadre avec la France d’Après rêvée des consanguins. Les airbags dont on veut assortir ce discours déguisé en débat ne changent en rien sa nature. Comment croire dans les vertus démocratiques d'un "débat" national qui ne se traduirait pas en vote ? Il ne s'agit que de créer une ambiance. Préparer les têtes, occuper le temps de cerveau. D'ailleurs, l'identitaire dialogue admirablement avec le sécuritaire. Echauffez les esprits par un discours identitaire, portez-les à incandescence, puis justifiez la répression. Puis validez la répression par un discours identitaire. Et ainsi de suite. Le mouvement perpétuel érigé en "politique de civilisation". Ce qui, forcément, multiplie les sorties de route.