03 août 2006

Le temps des crafias


Réjouissons-nous, frères Consanguins, car tout récemment la dégradation sociale et matérielle de notre fier et grand pays a poussé ceux que nous n’hésitons pas à qualifier « d’animaux » à mettre nos riantes banlieues à feu et à sang - pour notre plus grande joie bien entendu. Pour notre plus grande joie, car à notre tour, nous pouvons emprunter à la gauche ultra-tolérante ses trémolos poignants, non pas pour souligner les raisons socio-économiques qui ont poussé les populations des banlieues à de telles extrémités, mais pour pleurer sur notre beau-pays-massacré par ces gueux oisifs qui n’ont en commun avec nous, nobles Consanguins de souche, ascètes travailleurs et altruistes dévots, que les seules prestations sociales qui leur sont scandaleusement octroyées.


Voici que depuis un mois, les plus brillants de nos Consanguins s’époumonent à la vision des scènes de guérilla urbaine retransmises avec zèle par les médias. Voici que depuis un mois, la Consanguinité se répand et s’étale dans des proportions réjouissantes : notre courageux ministre de l’intérieur prend des libertés sémantiques aux accents frontistes les plus délectables, notre premier ministre recourt à une loi sur l’état d’urgence qui fleure bon les relents colonialistes et la paranoïa sécuritaire, un autre ministre encore explique avec le plus grand sérieux que les troubles des cités sont imputables à la polygamie de certains de ses habitants, sans oublier nos percutants réacs qui ressortent leurs fantasmes imbéciles d’intifada-sur-marne et de factions islamistes en goguette, sans oublier non plus notre grotesque Stolkère et ses amis qui dégoulinent de satisfaction et éjaculent leur misérable colère consanguine à l’endroit des « sauvages de cité » et des « gauchistes irresponsables », comme à leur poisseuse accoutumée. Les faits sont déformables, nous les utilisons donc pour nous décomplexer.

Pain béni pour les Consanguins, l’inflammation des banlieues et les sinistres faits divers qui l’accompagnent, fournissent le comburant nécessaire à notre haine stéréotypée et systématique. Point d’analyse, bornons-nous à instrumentaliser la violence et à profaner les tombes des victimes pour alimenter notre logorrhée d’encéphales creux.

Un catastrophisme de bon aloi à nos yeux, puisque que nous pouvons taxer de mollesse vertébrale, de trahison patriotique ou d’inconscience politique les observateurs qui s’aviseraient de troubler notre songe sanguinaire en rappelant que ces troubles n’ont pas eu l’ampleur que nous voulons leur donner. Nous essayons donc de noyer toute mise en perspective, toute analyse, toute distribution des responsabilités, et nous précipitons comme des brutes dans l’excommunication, l’anathème et l’organisation de charters à aller-simple. Nul besoin pour nous de rappeler que ces troubles sont imputables tout autant à l’incurie du personnel politique en place depuis 30 ans qu’au « racisme » rampant du beauf moyen - dont nous nous vantons aujourd’hui, beaufs parmi les beaufs. Nul besoin pour nous d’analyser les causes réelles de ces actes intolérables, nul besoin pour nous de préciser que les mômes qui ont caillassé la police sont des moutons idiots victimes de l’imagerie consumériste et de la ségrégation institutionnelle. Evidemment, ces idiots sont à condamner, personne ne le conteste, personne ne prétend même amoindrir la responsabilité de ces petites frappes. Mais nous préférons jouer les sourds et nous égosiller dès qu’on prétend voir en eux des « victimes ». Bien entendu, ce ne sont pas nos voitures qui ont brûlé, et ce ne sont pas nous, Consanguins, qui vivons dans la peur qui suinte de ces quartiers. Mais nous revendiquons nous, au travers de nos écrits boueux, le statut de « victimes ». Victimes de l’islamisation, victimes de la violence, victimes des fautes de grammaire que commettent ces jeunes, victimes des blessures irréparables que provoquent les paroles de morceaux de rap, victimes du trafic de mauvais shit que nous leur achetons, victimes, victimes, nous sommes victimes.

Nous, les Consanguins. Victimes. De toute époque. De tous temps. Qu’il s’agisse des martyrs de la cause blanche, des défenseurs de la langue fraançaïse, ou des moines-combattants de la fille aînée de l’Eglise, nous sommes victimes, bien plus que ceux dont les biens ont brûlé, bien plus que ceux dont les proches ont été blessés, bien plus que ceux qui vivent dans les barres de ciment et dans l’ostracisme tacite depuis 15 ou 25 ans. Ce sont nous les victimes, nous petits obscurs flippés, pestant contre la France d’aujourd’hui alors que celle d’hier, monarchiste ou gaullienne, était tellement en adéquation avec nos idéaux de dégénérés.



Nous avons donc trouvé la caution idéale pour nos préjugés merdeux. Qu’on nous reproche aujourd’hui un catastrophisme opportuniste, comme on le reproche au vaillant ministre de l’intérieur qui stratégise son accession à la présidence de la République, qu’on nous reproche notre racisme exacerbé, et nous poussons immédiatement des cris d’orfraie indignée et convoquons la mémoire des victimes de la « tempête anti-française » qui a secoué les banlieues. Nous pouvons ainsi battre en brèche toute analyse un peu sensée de ces évènements en focalisant l’attention sur l’horreur de la mort d’un photographe, sur le nombre de voitures carbonisées, en utilisant ces leviers indignes pour couiner nos piteux cris de guerre à la Del Valle.

Nous pouvons donc laisser ainsi libre cours à nos fantasmes d’islamisation de la France, fantasmes que nous tentons par tous les moyens d’inoculer à l’ensemble de nos concitoyens (de préférence blancs et catholiques). Nous pouvons, à grands renfort de grandiloquence guerrière, fustiger les « commissaires politiques de l’égalitarisme », et dégueuler nos préjugés xénophobes sur tous les espaces médiatiques qui nous tombent dans les pattes, en imputant au passage la responsabilité de cette véritable chienlit antichrétienne à quelques gauchistes d’appoint. Nous nous appuyons sur la mollesse de leur propre antiracisme de surface pour exprimer notre extrémisme de clébards ineptes. Nous dépeignons les banlieues en théâtres de crimes commis en permanence, nous nous appuyons sur les faits divers, pour enfler encore leur caractère sordide, ôter à cet enjeu toute objectivité, et appeler au retour de nos bonnes vieilles valeurs de traditions, de condescendance civilisationnelle et de nationalisme fascisant. Nous dissimulons notre barbarie idéologique derrière la sauvagerie criminelle de cette minorité de délinquants qui a gratté un nombre inqualifiable d’allumettes sous les pneus des peugeots vintage.

Que l’on essaie ici ou là d’examiner un peu plus sereinement ces évènements, qu’on explique que ce type de troubles existait déjà dans nos cités, et qu’ils sont avant tout imputables à l’environnement socio-économique de leurs habitants, et nous poussons des hululements scandalisés et crions au nihilisme bolchévique. Le terrorisme intellectuel, longtemps l’apanage de la gauche bien-pensante, est devenu notre propre arme rhétorique. Nous, qui pas plus que ces belles âmes ne vivons dans les cités, n’hésitons pourtant pas à prétendre parler en connaissance de cause des malheurs vécus par de paisibles français-coincés-dans-ces-enclaves-de-l’islamisme-terroriste. Nous nous perdons dans nos délires fiévreux de saletés racistes, et mixons allègrement incivisme, drogue, couleur, islam, mosquées et immigration clandestine, pour affirmer haut et fort, haut et fort comme toujours, que les véhicules incendiés l’ont été par des légions de fous de dieu bardés d’explosifs, des kamikazes fanatisés armés jusqu’aux dents de mitrailleuses lourdes, de cimeterres empoisonnés et de lance-roquettes à l’anthrax. Nous affirmons haut et fort que notre courtoise et téméraire police a affronté la quatrième armée du monde pendant quinze nuits d’affilée. Bref, on a lâché la rampe et on tape un freestyle sur la partition de Sarkozy, l’ergot génital au garde-à-vous et la main sur l’opinel.

Jouons les martyrs, généralisons, et glorifions les initiatives politiques qui toutes, de l’irresponsable mollesse socialiste à la déplorable victimisation bien-pensante des voyous pyromanes, en passant par les crises d’autoritarisme gouvernemental, sa provoc sécuritaire et ses amalgames électoralistes, servent nos idéaux.



La Chute est proche, repentez-vous ! Le sarrasin est à nos portes, dans nos cités, sous nos lits et dans nos culs, un Coran dans la main et une tête nucléaire dans l’autre ! Nous pouvons l’affirmer puisque quelques écrivains psychotiques et quelques ministres inconscients abondent dans notre sens. Amalgamons, amalgamons, il nous en restera bien quelque chose. Relisons les édifiantes pages de nos réacs de chevet sur les affrontements inter-ethniques en région parisienne, et transformons cette mauvaise science-fiction de gare désaffectée en menace prophétique, puisque nous sommes depuis longtemps immunisés contre le ridicule.

Nous, Consanguins, petites ordures réactionnaires éprises d’Ordre monochrome et de milices chrétiennes, petits crétins rouge-bruns recopiant la langue pincée les paroles du 113 sur nos blogs, nous, petits bourgeois incultes effrayés par le quotidien des habitants des banlieues, nous, sales brêles nationalistes qui parlons de leucophobie et de « chômage des blancs », nous nous insurgeons. Nous, infâmes salopards consanguins qui souhaitons parquer nos concitoyens en Guyane et qui leur reprochons de prier accroupis ou de ne pas manger de porc, nous nous insurgeons.

Nous, Consanguins, qui nous lamentons une fois de plus sur notre France Défigurée en Proie à l’Islamisation Ultra-violente, cette pseudo-menace qui sert à légitimiser nos préjugés fangeux, nos paranoïas pathologiques ou nos « votes de contestation », ce pseudo-fléau qui justifie nos littératures réac et nos sorties de route lexicales, nous trépignons une fois de plus devant nos écrans et bavons sur nos claviers.

Nous, Consanguins, colossaux beaufs lobotomisés, viendrons encore déplorer que le « bon français », rondouillard et sclérosé, doive payer pour la réparation des dégâts. Nous, Consanguins, pauvres buses complètement paumées, clamerons haut et fort que si malgré les fortunes investies par les gouvernements successifs dans l’entretien des cités, les troubles viennent toujours de là-bas, c’est donc bien qu’ils sont liés à la « nature » même de ses habitants, qui pour la majorité d’entre eux ne correspondent tout simplement pas à l’idée faisandée et nauséabonde que nous nous faisons de la France. Parce qu’il nous faut des cibles, parce qu’il nous faut des alibis.

Nous, Consanguins, étrons mentaux et larves intellectuelles, agitons notre haine de l’autre derrière un pseudo-sentiment national « blessé », et nous remémorons avec chagrin la marseillaise sifflée par quelques burnes lors d’un match de foot - cet art si noble et si français. Nous, Consanguins soit-disant lettrés, jouant les matamores dans nos zones puantes, n'hésitons donc pas à agiter le spectre de la guerre et à prendre des images de conflits internationaux pour illustrer nos petits rots consacrés aux émeutes.

Nous, Consanguins, lamentables crevures illettrées, parlons en 2005 de « reniement national » de « problème ethnique » et de « flux migratoires incontrôlés » à propos de français victimes de la paupérisation consécutive à leur entassement historique dans des cités dortoirs en tant que main d’œuvre bon marché. Nous, pauvres chèvres indigentes, parlons « d’immigrés de troisième génération », parce qu’il nous importe avant tout de distiller l’idée de citoyens de seconde zone, l’idée d’un statut « d’invité » se perpétuant de père en fils sur le territoire...



Nous, obscures et poltronnes raclures consanguines, utilisons de la façon la plus odieuse qui soit la mort de trois personnes innocentes et l’incendie de quelques milliers de voitures pour généraliser à tout français musulman, ou même seulement de couleur, le comportement criminel de quelques centaines d’enfants de pute en baggy, crétins desquels nous ne sommes pourtant pas si éloignés puisque certains d'entre nous aussi cédent parfois au hooliganisme de foire à nos moments perdus.

Nous, Consanguins, saloperies d’ultracathos maladifs, professons aussi le retour de l’Eglise au cœur des préoccupations d’une République depuis trop longtemps laïcarde. Nous, Consanguins, vermine pleutre et couarde, appelons de nos vœux la « Guerre Civile Interethnique » et le « réarmement moral du pays », en pauvres connards ignorants et flippés se répandant sans honte aucune sur nos blogs tricolores.

Nous parlons, à propos des voyous qui ont terrorisé nos récentes nuits, de « cris de haine jetés à la face de la France », et prétendons en tirer une noble colère nationaliste - qui confine au pet de lapin. Mais c’est bien parce que nous préférons nier ce que ce cri doit à l’incurie pluridécennale des dirigeants français, comme à notre propre racisme atavique de fiers Consanguins.


Nous, Consanguins frileux et acariâtres rombières du web, dégobillons donc notre haine putride une fois de plus, en surfant sur la vague sécuritaire et le malheur social, parce que c'est toujours ainsi que nos idéologies moisies ont prospéré.

Consanguin wants you !

Consanguin wants you !
*** Enrôlez-vous dans le Choc des Civilisations ***

And remember...